Parfois invisibilisées, les femmes sont encore peu nombreuses dans le froid. À l’approche de la journée qui leur est consacrée le 8 mars, la rédaction a voulu mettre à l’honneur trois d’entre elles, aux profils et parcours différents. Dans ces interviews, elles évoquent leurs histoires avec le froid, comment se faire une place dans un monde majoritairement masculin et leurs messages aux jeunes femmes de la profession.

Faire prendre conscience du champ des possibles

Camille Bertin, Gérante associée chez C&T Cold

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Quel est votre cursus scolaire ?

Camille Bertin : J’ai fait un BAC STI électrotechnique, suivi d’un BTS Fluide, Énergie et Environnement option froid et climatisation, puis l’IFFI en alternance et enfin un cursus ingénieure avec l’option « froid » toujours aux Cnam.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans le froid ?

C B : Je voulais d’abord être journaliste. À la suite de nombreuses recommandations de mes proches (dont certains se trouvaient être frigoristes) à me tourner vers un métier « qui embauche avec une demande constante », je me suis donc orientée vers le froid grâce à une curiosité technique.

Est-ce que vous aviez en tête un poste de rêve durant ces études ? Est-ce celui que vous occupez actuellement ?

C B : Pas du tout (rires) ! Lorsque j’ai commencé mon BTS, je voulais être metteur au point et je ne l’ai jamais été. Les fiches de poste sont souvent floues et les stages durant le parcours scolaire ne permettent pas de découvrir un métier et tous les postes qui le composent. Arrivée à l’IFFI, j’ai choisi l’alternance dans une entreprise de grande distribution avec pour objectif de découvrir le milieu et ses diversités : de l’industriel au petit artisan. De fil en aiguille, je suis allée travailler en bureau d’études en gardant cette envie d’être en lien avec la « réalité » du terrain. C’est ce que j’ai pu faire en découvrant le poste de conducteur de travaux, allant même parfois jusqu’à l’occuper en remplacement. J’ai toujours fonctionné par étapes, sans avoir en tête cet objectif de monter ma propre société. Et finalement…

L’histoire de C&T Cold, racontez-nous ?

C B : Créer une société de conseil et de support technique, c’est un projet qui faisait son chemin en moi depuis quelques années. J’avais l’envie de conseiller, d’orienter des personnes dans le domaine de la réfrigération, qu’elles y soient ou non initiées. Alors un jour, on se lève et on se dit « Vas-y, lance-toi ! ». Le 2 novembre 2020, C&T Cold a donc vu le jour. J’en suis la gérante et suis associée à Thierry Godenaire. Nos missions sont diverses mais ont toutes la même ligne directrice : la réfrigération (commerciale ou industrielle), allant de la formation (technique et pratique) au conseil, appui et expertise technique, en passant par l’audit. Vous comprendrez donc que le CO2 fait, entre autres, parti de notre ADN.

Comment voyez-vous votre carrière dans 5, voire 10 ans ?

C B : Aujourd’hui, je suis gérante et associée de C&T Cold. Mon objectif pour les années à venir est bien évidemment de la développer, tout en conservant cette dynamique de répondre à des demandes en lien avec nos valeurs et d’apporter nos compétences. Le spectre des possibles est large et j’aime à croire qu’il est important de garder une part d’inattendue dans la vie quel que soit le domaine concerné.

Quel a été la place des femmes durant votre cursus scolaire et professionnel ?

C B : Jusqu’à l’IFFI, je n’ai rencontré aucune femme. Je pense avoir été habituée car dès le lycée, où j’étais en seconde générale option sciences de l’ingénieur, j’étais déjà la seule ! Après le BTS, cette situation ne m’a jamais dérangée grâce à la maturité de mes camarades. Ce qui n’était pas forcément le cas auparavant. En tant que femme, j’ai très souvent eu des contraintes dans la mesure où ma parole sera dix fois plus contestée et remise en question que celle d’un homme. J’ai fréquemment ressenti de la réticence de la part des hommes quant à mes connaissances.

Quel message vous aimeriez porter aux jeunes femmes qui hésitent à se lancer dans le froid ?

C B : Je pense que les actions doivent être multiples. Il faut d’abord rassurer en expliquant que la profession n’est pas réservée aux hommes et que des femmes ont été capables de s’y faire une place.

L’industrie du Froid doit s’adapter

Ina Colombo, Directrice générale adjointe au sein de l’IIF

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Comment avez-vous découvert le froid ?

Ina Colombo : J’ai grandi en Guadeloupe et au moment de mes études, l’enseignement littéraire y était dispensé tandis que le côté technique s’enseignait plutôt en Martinique. Mais un lycée technique venait d’ouvrir proche de chez moi. Étant attirée par les mathématiques, sciences et technologies vertes, j’ai choisi la filière génie énergétique. C’est à ce moment que j’ai découvert le conditionnement de l’air et les principes de réfrigération. Alors passionnée, je pensais pouvoir me tourner vers un BTS en Martinique mais j’ai pris le pari d’aller en métropole pour un DUT Génie et énergie sous les recommandations de mon professeur principal. Durant ces deux ans j’ai découvert un froid plus « pointilleux ». Puis, j’ai découvert Londres et sa diversité lors d’un week-end de diversement. Je me suis tout de suite sentie plus à l’aise sur place, jusqu’à aller y vivre pour initialement une année. Décidée d’y rester plus longtemps, j’ai intégré une deuxième année de bachelor en services du bâtiment à Londres. Au fil du temps j’ai enchaîné les expériences professionnelles liées au froid et au conditionnement de l’air, toujours portée par les opportunités.

Est-ce que vous aviez en tête un poste de rêve durant ces études ?

I C : Dès mes années au lycée j’avais compris que le froid était nécessaire en Guadeloupe. D’où mon désir de partir en Martinique et revenir ouvrir une société. Mon DUT en métropole a été compliqué sur le plan scolaire et ne me laissait pas entrevoir de carrière. Ce n’est qu’en Angleterre que j’ai retrouvé un intérêt pour la profession en me tournant naturellement vers des entreprises de génie climatique et en froid spécialisée dans les énergies renouvelables.

Depuis dix ans vous travaillez au sein de l’Institut International du Froid (IIF), quel a été votre parcours au sein de l’institution ?

I C : Durant ma thèse à l’Université London South Bank, je publiais déjà des articles scientifiques pour l’IIF tout en organisant des conférences de networking destinées aux étudiants. J’ai ensuite été contactée pour les rejoindre.

Jusqu’à l’IIF, est-ce que le fait d’être une femme dans un milieu particulièrement masculin a été un frein ?

I C : Et surtout une femme afro-antillaise ! Mon DUT en France a été une période compliquée pour moi. J’en étais presque pressée de fuir vers l’Angleterre. En revanche, je n’ai pas vraiment ressenti de discriminations raciales ni de genre en Angleterre, puisque la diversité est une valeur importante dans la société. Néanmoins, le manque de femmes à tous les niveaux est criant. J’aimerais voir plus de profil de femmes dans la profession, je pense qu’elles finissent par quitter le froid car elles rencontrent des difficultés à gérer l’équilibre travail et vie de famille*.

Quel message vous aimeriez porter aux jeunes femmes qui hésitent à se lancer dans le froid ?

I C : La réponse peut être faite en deux parties. D’abord un effort doit être mené pour attirer des jeunes filles dans des cursus scientifiques et techniques. Ensuite, une fois dans la filière, c’est aux actrices de la profession de participer, de susciter de l’intérêt via des formations, des ateliers, du mentorat ou des évènements de recrutement. Le départ des femmes est souvent lié à un choix entre carrière et vie familiale, l’industrie du froid devrait s’adapter à cela.

Comment voyez-vous la suite de votre carrière ?

I C : Étant Guinéenne de par mon père, j’ai toujours la vision de contribuer au développement du continent africain et j’y travaille à travers l’IIF. J’ai été une pionnière du projet européen SophiA** sur le froid solaire utilisant des frigorigènes naturels. Pourquoi ne pas travailler un jour en Afrique ? Idée de revenir et de connaître mes vraies origines. Je pense aussi à revenir en Guadeloupe pour y installer une société dédiée à l’énergie, un sujet intrinsèquement lié au froid. Et peut-être éventuellement en fin de carrière, revenir là où tout à commencer ! ?

* Lire l’étude de l’IIF publiée en octobre 2022 Les femmes dans le froid : une étude mondiale, écrite par C. Marques, I. Colombo, S. Wagner, A. Eltalouny et M. Baha.

** Consulter le site https://sophia4africa.eu/

De la diversité pour plus d’efficience !

Séverine Hoingne, Présidente de Polyfroid, Présidente du Directoire du Gasel et lauréate du prix de la personnalité de l’année aux Grands Prix du Froid 2022

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Quel est votre cursus scolaire puis professionnel ?

Séverine Hoingne : J’ai obtenu une licence de langues étrangères appliquées au commerce, suivie d’une école de commerce avec une spécialité en ressources humaines. Le poste que j’avais en tête n’était sûrement pas celui auquel je suis actuellement, car j’envisageai une carrière dans le marketing en Espagne (rires). Puis à la fin de mes études, mon père (Bernard Hoingne, ndlr) me propose de travailler à ses côtés au sein de Qualiclimafroid en septembre 1996. À l’époque il y avait une trentaine de qualifiés et j’y ai rencontré de nombreux professionnels : des frigoristes, des auditeurs, mais aussi les représentants du Snefcca et d’Uniclima… Alors jeune femme je craignais de travailler dans un milieu masculin, mais j’ai finalement trouvé des personnes bienveillantes. En 1998, je deviens Directrice Générale de Polyfroid puis présidente en juin 2007.

Comment se déroule votre entrée au Gasel ?

S H : Je suis rentrée dans l’organisation en mai 2018 via différentes commissions (cuisine, marketing, formation, encours...) puis au conseil de surveillance, au directoire pour enfin être élue à la présidence courant 2022.

Contrairement à vos prévisions, vous avez fait carrière dans le froid, pourquoi ?

S H : Finalement, le froid est passionnant vu de « ma fenêtre » qui n’est pas technique. Même si j’ai acquis des notions à travers Qualiclimafroid, j’ai été plus intéressée par le management et ce qu’il y avait autour du froid. Je pense avoir mis à profit ma connaissance du marketing et de la présentation commerciale. À mon arrivée chez Qualiclimafroid, j’ai découvert un dossier très technique et pas facilement abordable quand on n’y est pas immergé. Ma réflexion a été de me dire « comment appréhender ces sujets avec ma vision ? ». Concernant mon poste chez Polyfroid, bien qu’il relève de l’opportunité, celui-ci s’inscrit dans du commerce et de la gestion. Depuis que j’évolue dans la profession, je constate régulièrement que le froid est un métier d’avenir essentiel et malheureusement méconnu voire inconnu. Cela me pousse à réfléchir à la manière dont la profession doit être reconnue de tous.

Justement, qu’est-ce qui devrait être mis en avant ?

S H : On entend que les nouvelles générations sont en quête de sens. En sachant que le froid est vital, pour la santé, l’alimentation ou les nouvelles technologies, pourquoi ne pas mettre en avant ce lien auprès d’elles ? Tout en expliquant que la vente de service apporte du bien-être aux gens.

Arrivée à différents postes à responsabilités, comment voyez-vous la suite de votre carrière ?

S H : Je ne me suis pas posé cette question (rires). Je suis dans une réflexion d’abord centrée vers ma propre société : « Comment aborder les prochaines années et avancer avec les nouvelles générations tout en ayant à cœur de rester indépendant ? ». En somme, préparer les années à venir et valoriser Polyfroid dans le temps. L’enjeu est dans la diversification.

Quelle a été la place des femmes durant votre parcours ?

S H : La question ne s’est pas posée durant mes études. Cela étant, je ne crois pas que cela a été un sujet pour moi. Si ce n’est à mes débuts au sein de Qualiclimafroid où je me suis fait la réflexion que j’arrivais dans un monde d’hommes. Je me suis demandé comment cela allait être perçu. J’ai tout de même l’impression que les femmes ne sont pas invisibles dans nos métiers. On en rencontre à certains postes. Malheureusement, la profession est encore très stéréotypée et des femmes s’en détournent devant la tâche physique supposée du métier alors qu’elles sont nombreuses dans les bureaux d’études, chargées d’affaires, responsables SAV.

Que voulez-vous dire aux jeunes femmes qui hésitent à se lancer dans le froid ?

S H : La réflexion féminine peut être une force dans un monde majoritairement masculin. Et à ce titre je suis persuadée que nous pourrions avoir des équipes complémentaires avec plus de femmes dans nos rangs. De la diversité pour plus d’efficience ! ?

Le Snefcca valorise le froid au féminin

Le Syndicat National des Entreprises du Froid, d’Équipements de Cuisines Professionnelles et du Conditionnement de l’Air continue ses efforts de communication vers les jeunes sous la marque « Ton avenir en Froid Clim ». Et cette fois, ce sont les femmes qui sont mises à l’honneur. Fin 2022, cinq vidéos de la série Le Froid au féminin ont été tournées pour une diffusion sur les comptes TikTok et Instagram dédiés à la campagne de communication*. « Le projet, financé par l’OPCO EP dans le cadre d’une convention cadre entre l’OPCO EP, le ministère de l’Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports, et le ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, a l’objectif de rendre le froid plus visible auprès d’un public jeune et notamment féminin, car les enquêtes de branche montrent la faible présence des femmes dans les postes techniques », explique le Snefcca. Les viewers pourront ainsi découvrir différents profils : une étudiante en Bac professionnel et une autre en BTS en alternance, une créatrice d’entreprise en bureau d’études, une chargée de mise en service d’installation et une responsable d’une équipe de dépanneurs.

*@tonavenirenfroidclim pour les deux réseaux.