
Publié début 2022, cet entretien résulte de la réaction de Pascal Guillerm suite à la parution du point de vue de Christophe Hurdebourcq dans le numéro de septembre 2021 de La Rpf. Comme le rappelle Pascal Guillerm, le chef d’entreprise y « décrivait son exaspération compréhensible devant l’évolution du métier et notamment les problèmes de recrutement et les difficultés rencontrées avec des jeunes sortants de formation. » La Rpf reproduit donc ici, après accord, le commentaire reçu.
Un enseignant très concerné
Enseignant dans un lycée professionnel, je forme des élèves au baccalauréat professionnel TFCA et maintenant MFER, depuis quelques années. Lecteur régulier de la Revue Pratique du Froid, j’ai noté d’autres articles ciblant à juste titre l’Éducation nationale sur divers sujets de préoccupation. Simple maillon d’une longue chaîne je ne considère pas représenter à moi tout seul l’Éducation nationale, et c’est aussi le regard que portent sur moi les divers interlocuteurs rencontrés dans l’exercice de mon métier. Néanmoins j’ai aussi conscience que le seul rapport qu’entretiennent la plupart des personnes avec cette institution est le lien avec les enseignants, le maillon devient alors la chaîne. C’est pourquoi comme la plupart des enseignants je me sens concerné et j’assume à titre personnel lorsque des difficultés sont remontées, avec l’espoir que les choses changent. Lorsqu’un exemple particulier est donné, comme dans cet article du mois de septembre, je ne dénie pas, même si je suis étonné de la pratique décrite du chalumeau et des outils électroportatifs.
Quand la question était de fermer des écoles !
Aujourd’hui personne ne dément les difficultés du recrutement et de formation des frigoristes de demain. Cela n’a pas toujours été le cas, ainsi en juillet 1995 votre revue titrait un article « faut-il fermer des écoles ? » , et décrivait une situation dans laquelle trop de frigoristes étaient formés pour un marché de l’emploi relativement étroit, de même en octobre 1999, un enseignant partant à la retraite déclarait « aujourd’hui il y a trop de formation ». Avec un peu de retard cela a été entendu et on assiste effectivement à des fermetures de sections dans des lycées professionnels, mais la raison est tout autre, c’est par manque d’élèves candidats et par redéploiement de moyens horaires que cela se produit. Entendons-nous bien, il n’y a pas zéro candidat, il y en a peu ; pas suffisamment en tout cas pour un autre maillon de la chaîne pour continuer à laisser exister ces sections.
Le nœud du problème
Ce problème peut se décomposer en deux parties : premièrement pourquoi y en a-t-il si peu alors que le nombre d’enfants dans les collèges ne varie pas sensiblement, et deuxièmement pourquoi y en a-t-il encore un peu ?
L’orientation des élèves de la troisième vers les lycées a subi il y a quelques années des changements qui ont entraîné une baisse importante des effectifs à l’entrée en secondes professionnelles et une hausse des entrées en seconde générale. Cette baisse sensible d’une rentrée à l’autre est venue s’ajouter à un changement du profil des élèves enclenché depuis plus longtemps. C’est ce que j’ai observé à titre personnel, mais d’autres peuvent être d’un avis différent. Tout cela s’additionne à un certain désintérêt pour les métiers désignés comme « manuels » par ceux qui ne sont pas amenés à les pratiquer, et loin de moi de résumer le métier de frigoriste à une simple activité manuelle.
Quand un élève de 3e entend-il parler du métier ?
La question cruciale pourrait finalement se résumer dans notre cas à : À quel moment des élèves de troisième entendent-ils parler du métier de frigoriste ? On pourrait dire la même chose pour beaucoup d’autres métiers, liés au niveau de développement de notre société. Sans frigoristes, pas de produits alimentaires dans les supermarchés, pas de produits importés sur les étals, des pans entiers de l’industrie à l’arrêt, pas de vaccins disponibles, pas d’économie d’énergie substantielles en hiver, ni de bureaux tolérables en été, et je pourrais largement rallonger cette liste. Feuilletant il y a quelques semaines un livre intitulé « La bible des métiers », je consultai l’index à la lettre F, et, désabusé je constatai l’absence du mot frigoriste. Je feuilletai rapidement pour voir s’il ne s’était pas caché quelque part, en vain, et tombai à la lettre I, sur le métier d’influenceur ! Oui à quel moment des élèves de troisième entendent-ils parler de ce métier ? En tout cas pas par l’intitulé des diplômes.
J’exagère sans doute, des élèves en entendent parler quand même, il n’y aurait sinon plus personne à former. Cela se produit à travers des forums des métiers, des opérations Portes ouvertes, des compétitions comme les Worldskills, des interventions directes dans des collèges, etc. On rêverait pourtant d’avoir à la télévision une émission aussi populaire que Topchef, version frigoriste.
Il existe des élèves très motivés
Beaucoup de lycées professionnels comme celui ou j’exerce ( Ndlr : LP Sainte Marthe saint Front à Bergerac) organisent à destination des élèves de collèges des « mini-stages » d’une journée à l’atelier, communiquent vers les enseignants de collège et y interviennent lorsqu’on les invite pour présenter ce métier entre autres. C’est ainsi que la plupart des élèves que nous accueillons en seconde professionnelle pour ne pas dire la majorité ont connaissance de cette filière et du métier, et c’est pour cela dans mon cas qu’il y a encore des élèves qui entrent en formation à chaque rentrée. Mais je n’en fais pas un cas général, ailleurs cela peut se dérouler autrement. Les profils changent au fil des années, des difficultés prennent une place qu’on ne leur connaissait pas auparavant, manque de mobilité au moment d’aller à la recherche d’un stage, manque de motivation parfois, difficultés scolaires qui ne sont plus étayées par des aides de l’entourage familial, etc. mais là aussi je n’en fais pas une généralité, il y a aussi, et heureusement, des élèves très motivés, qui savent agir et réfléchir, à qui la technologie ne fait pas peur, qui sont impatients d’aller en stage tâter ce fameux CO2, que les fluides A2L n’effraient pas, qui passeraient volontiers plusieurs jours de la semaine de cours un chalumeau à la main, au lieu d’aller étudier un peu plus l’économie, la gestion, les mathématiques ou encore l’anglais, qui aiment passer du temps à régler le moindre appareil de régulation des installations de l’atelier, qui sont fiers de leur caisse à outils et comparent les qualités respectives de leur tenue de travail.
Pascal Guillerm conclut son message par ces mots : « J’espère n’avoir pas été ni trop véhément ni trop démonstratif, mais en résumé je souhaitais dire que si je comprends et approuve l’exaspération évoquée dans l’article cité plus haut, je me sens un peu responsable de cette situation particulière en tant que représentant ultime et modeste de l’institution en laquelle j’ai la faiblesse de croire encore, qui continue de guider vers la vie professionnelle des jeunes venus découvrir et apprendre un métier passionnant, parfois difficile, tellement utile, voué au service de la communauté, à condition que tous ceux amenés à les orienter sachent aussi voir la réussite dans la voie professionnelle. »
Du R 12 à aujourd'hui...
Titulaire d'un BTS au lycée de la Chauvinière à Nantes en 1989 après un baccalauréat technologique et un BEP électrotechnique, Pascal Guillerm confie avoir eu la chance de rencontrer lors d'un stage Roland Paris, un artisan frigoriste installé dans le Limousin, auprès de qui il a beaucoup appris, à commencer par poser les manomètres et compléter la charge en fluide d'une installation, mais surtout à aimer discuter à l'infini de ce qui se passe dans un circuit frigorifique. « Je lui dois beaucoup, et je le salue car il prend sa retraite cette année. » En tant qu'enseignant dans deux établissements : le lycée professionnel Saint Joseph à Lorient, puis le lycée professionnel Sainte Marthe saint Front à Bergerac - avec entre les deux une année de technicien montage et SAV à Limoges — Pascal Guillerm a connu successivement le BEP Froid et climatisation, devenu Équipements techniques Énergie puis Froid et Conditionnement de l'Air ainsi que le baccalauréat professionnel Énergétique devenu Technicien du Froid et du Conditionnement de l'Air et depuis cette année Métiers du Froid et des Énergies renouvelables. « Les premières installations sur lesquelles mes élèves travaillaient étaient chargées de R 12 et R 502, et lorsqu'il fut question de tout passer au R 22, des collègues aînés m'assuraient que ça ne fonctionnerait jamais ! c'était il y a longtemps. »
Peintre et auteur
Si Pascal Guillerm est aujourd'hui présent sur Internet, ce n'est pas seulement pour son activité d'enseignant frigoriste. « J'ai eu la chance de pouvoir publier quatre livres en marge de mon travail. Je pratique le dessin et l'aquarelle depuis l'enfance, et à force d'accumuler des pages d'illustrations sur des sujets qui me tiennent à cœur, la passion de communiquer qui est la vocation de l'enseignant a pris le dessus. L'habitude de développer et mettre en forme des projets divers dans mon travail m’a aidé à présenter sous le meilleur jour des maquettes qui pouvaient sembler étranges à des éditeurs soupçonneux, car proposées par un enseignant d'une matière aussi curieuse qu'inconnue : « comment dites-vous ? le froid ? cela s'enseigne ? »
Les titres des livres publiés : Le piéton de Périgueux (2010), Éditions Fanlac. / Mégalithes de Bretagne (2015), Éditions Bonneton / Les lieux de la Grande Guerre en aquarelle (2017), Éditions Ysec / Dolmens et menhirs du Limousin (2019), Éditions du Puy Fraud.
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