
«Le crime le plus glaçant d’Europe » tel est l’autre intitulé du nouveau rapport très documenté de l’organisation non gouvernementale EIA. Dans ce document de plus de 30 pages, l’Agence d’investigation environnementale épingle la Roumanie comme l’un des principaux points d’entrée en Europe des HFC illégaux de fabrication chinoise, passés en contrebande via la Turquie et l’Ukraine. Le rapport met en évidence un réseau d’intermédiaires impliqués dans le commerce illégal et le recours courant à la corruption aux postes frontières roumains pour faire passer les HFC en fraude. l’EIA mentionne l’utilisation de pots-de-vin, avec des paiements de 20 à 30 euros par bouteille… Lors de leurs investigations, les enquêteurs de l’EIA se sont rendus en Roumanie pour infiltrer ce commerce très lucratif et n’ont pas manqué de trouver des fournisseurs, nommément cités, prêts à enfreindre la loi pour les approvisionner en HFC de contrebande, parfois fournis dans des bouteilles à usage unique qui ont été interdites dans l’Union Européenne. Il ressort que ces HFC sont bien destinés à des marchés plus importants comme l’Allemagne, l’Espagne, la Belgique, l’Italie, l’Angleterre, mais aussi la France.
Bien qu’il ne soit pas possible d’estimer avec précision l’ampleur du commerce illégal de HFC, l’EIA pense qu’il est significatif, probablement entre 20 et 30 pour cent du commerce légal — et avec un quota annuel autorisé de l’UE de 100,3 millions de tonnes d’équivalent CO2, cela indiquerait que le volume de HFC illégaux entrant dans l’UE pourrait atteindre 30 millions de tonnes équivalent CO2. L’ONG explique aussi que cette contrebande sophistiquée, au mépris flagrant de la politique des quotas, implique une utilisation abusive de la procédure de transit de l’UE.
Clare Perry, responsable des campagnes climatiques de l’EIA, a déclaré : « Le commerce illégal prospère parce que les poursuites et les sanctions financières sont rares et ne sont généralement pas à la hauteur des profits à réaliser. En particulier, il est urgent de s’attaquer à la corruption aux postes frontières roumains. » Elle ajoute, « Nous ne pouvons pas nous permettre le moindre faux pas dans nos efforts pour maintenir l’augmentation de la température mondiale en dessous de 1,5 °C et l’ampleur du commerce illégal de HFC dans l’UE devrait tirer la sonnette d’alarme dans tout le bloc - c’est le plus grand éco-crime dont personne n’a entendu parler. »
L’EIA précise qu’avant publication de son rapport, elle a partagé les résultats de ses enquêtes avec les organismes de contrôle concernés.
Des enquêtes terrain
Dans son rapport, les enquêteurs de l’EIA rapportent avoir rencontré à Bucarest George Dica, le directeur d’Eurotek Chemical, une société de vente de réfrigérants en ligne. M. Dica a affirmé avoir plus de 20 ans d’expérience dans l’industrie des réfrigérants et posséder une connaissance détaillée du règlement sur les gaz fluorés, notamment sur la manière d’abuser du système de transit pour détourner les HFC vers le marché noir. M. Dica a expliqué à l’ONG qu’il vendait des bouteilles jetables de R 134a et de R 404A, importées clandestinement d’Ukraine avec l’aide de gardes-frontières corrompus. Il était prêt à établir une facture pour cinq tonnes de R 134a et à les fournir aux enquêteurs de l’EIA, expliquant qu’il ne pouvait pas tout faire venir d’Ukraine en une seule fois en raison des risques encourus. Il a également proposé de vendre du R 22, fluide appauvrissant la couche d’ozone interdit dans l’UE depuis 2010. M. Dica a proposé de mettre les enquêteurs de l’EIA en contact avec son associé qui, selon lui, transporte des HFC en camionnette de Roumanie vers la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. Dica a souligné l’énorme demande du marché noir pour le R 404A en Roumanie et en Allemagne. Il a expliqué qu’il avait auparavant l’intention de travailler sur la récupération des HFC des systèmes de réfrigération commerciale pour la revente, mais que la disponibilité facile des HFC illégaux d’Ukraine avait pour conséquence que personne n’était intéressé par l’achat de HFC récupérés…
Des sites Internet très « fluide »
EMG Management Invest (propriétaire d’Eurorefrigerant.ro) Eurorefrigerant.ro est un site de commerce électronique. Les enquêteurs de l’EIA ont utilisé les coordonnées du site pour appeler la société, demandant cinq tonnes de HFC-134a en bouteilles jetables à livrer en Allemagne. La représentante était prête à offrir cette quantité, affirmant que malgré l’interdiction en Allemagne, l’entreprise pouvait traiter des bouteilles jetables en Roumanie car il n’y avait pas de loi roumaine en la matière. Elle a fait suivre des images de bouteilles jetables envoyées aux enquêteurs de l’EIA via WhatsApp et une offre formelle, présentant des bouteilles rechargeables, par courriel en utilisant une adresse électronique liée à une société appelée EMG Invest. EMG Management Invest a été enregistrée en 2019 et est un nouveau détenteur de quotas HFC. Lors de la plus grande saisie de HFC à ce jour, en juin 2020, les autorités roumaines ont saisi 76 tonnes de HFC (R 134a et R 404A), principalement dans des cylindres jetables. Les enquêteurs de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) avaient surveillé l’expédition de la Chine vers la Turquie, où les HFC ont été retirés de leur conteneur et réacheminés par camion en plusieurs envois vers la Roumanie. Les documents douaniers ont révélé qu’ils étaient destinés à cinq destinataires différents en Roumanie ; quatre d’entre eux n’étaient pas enregistrés pour recevoir des importations de ces gaz, tandis que le cinquième aurait largement dépassé son quota pour 2020 en recevant cette cargaison. Les informations reçues de la Garde environnementale roumaine indiquent que EMG Management Invest était le cinquième destinataire et que sa part de l’importation dépassait le quota de la société. De fait, l’envoi de HFC a ensuite été renvoyé à l’expéditeur en Turquie. Les enquêteurs de l’EIA ont rencontré des représentants d’EMG Management Invest peu de temps après la saisie, et ceux-ci ont à nouveau confirmé qu’ils étaient en mesure de fournir cinq tonnes de R 134a. Cependant, cette fois, ils n’étaient pas disposés à fournir les HFC dans des cylindres jetables, déclarant que leur utilisation entraînerait des peines de prison. À noter qu’en réponse à un droit de réponse envoyé à l’EIA, un représentant d’EMG Management Invest a écrit : « Nous avions importé en juin 2020, pas illégalement puisque nous avions le quota, mais pas suffisamment pour la quantité que nous avons importée. »
NB : Toutes ces données, noms et témoignanges repris dans cet article sont issus du rapport de l’EIA ici cité.
Actif pour le climat
L’EIA se targue de près de trois décennies d’expérience de travail avec des organismes internationaux, des gouvernements, des administrations et l’industrie pour réduire les impacts environnementaux des fluides frigorigènes nocifs pour le climat. Ses enquêtes, pionnières en la matière, ont mis en lumière le commerce illégal de substances appauvrissant la couche d’ozone (SAO) et des hydrofluorocarbones (HFC) dans le monde entier. Ses exposés et son plaidoyer visent à accroître la sensibilisation au trafic des SAO et des HFC et à encourager les actions visant à le réduire. Son travail se concentre également sur la promotion d’une d’atténuation des gaz à effet de serre grâce à l’adoption de solutions de réfrigération respectueuses du climat.

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