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RÉFRIGÉRATION Suite à un voyage d’étude au Japon, Edouard Chalhoub, formateur et consultant en réfrigération, fait un point sur l’usage du CO2 transcritique dans ce pays considéré comme pionnier en la matière.

Pluie torrentielle et vague de chaleur, le Japon a connu cet été des conditions météorologiques hors normes, signe du réchauffement climatique. Ce pays possède au sud et au centre un climat subtropical humide avec un été chaud et humide et un hiver doux. Comment les Japonais, 20 ans après la signature du protocole de Kyoto, sont-ils devenus maîtres dans l’usage des réfrigérants naturels ? Pour le découvrir je me suis rendu sur place cet été, entre un déluge de pluie et des températures extérieures de plus de 40 °C. En France quand le thermomètre dépasse les 30 °C rien ne va plus pour les frigoristes, alors voir des groupes CO2 transcritique fonctionner sous 40 °C me semble très intéressant.

 

La réglementation japonaise sur les fluides

Signataire de l’accord de Kigali en 2016 qui vise l’élimination des HFC, le gouvernement Japonais mène une politique engagée depuis 2001 pour l’usage des réfrigérants naturels.

 

La réglementation était très contraignante pour les équipements fonctionnant au CO2 à cause des pressions élevées. Une autorisation administrative était même nécessaire pour les petites installations, les normes ont donc été aménagées pour faciliter l’usage de ses solutions techniques. L’état subventionne les départements recherche et développement des industries Japonaise, avec pour objectif la conception de solutions de réfrigérations performantes avec des fluides naturels. Pour les petites puissances, les constructeurs ont développé plusieurs types de régulation CO2 transcritique. Ils ont conçu des systèmes basiques inspirés des équipements fonctionnant au HFC, mais également des solutions plus abouties avec de meilleures performances que les groupes de condensation au R404a. La catastrophe nucléaire de Fukushima (2011) fait partie des raisons qui ont incité les Japonais à réduire leurs consommations énergétiques, c’est pourquoi le passage des fluides fluorés aux fluides naturels doit s’accompagner d’une diminution de la consommation d’électricité pour les utilisateurs.
Chaque année, c’est environ 50 millions d’Euros d’argent public qui sont attribués à des projets utilisant des réfrigérants naturels, une partie est accordée aux utilisateurs qui choisissent des solutions innovantes et durables. Cette année le CO2 transcritique utilisé en froid commercial n’a plus besoin de subventions, il semble que c’est devenu un standard. Les installateurs ont été formés par les industriels et les utilisateurs ont réalisé de véritables économies, l’ensemble des acteurs souhaitent donc continuer avec ce fluide, plébiscité par les entreprises Japonaises.

Exemple d’implantation d’une supérette.

 

 

Le commerce de proximité apprécié par les consommateurs

Japonais Les supérettes sont très prisées des consommateurs Japonais, ouvertes 24 h/24, 7jours/7 elles sont présentes en grand nombre dans les villes. Les supérettes d’une surface de 200 m2 possèdent des équipements de réfrigération d’une puissance frigorifique d’environ 20 kW pour la vente des produits frais et surgelés. En périphérie des villes on retrouve quelques supermarchés d’environ 1 800 m2 qui sont équipés d’une dizaine de groupes frigorifiques pour assurer le refroidissement d’une soixantaine de meubles positifs et négatifs ainsi que plusieurs chambres froides. Nous aurions installé en Europe une salle de machines avec des centrales frigorifiques, les frigoristes et les utilisateurs locaux préfèrent choisir des groupes équipés de compresseur hermétique bi-étagés, car ils sont plus performants et ne nécessitent pas de révision mécanique.

 

Combien coûte une petite installation CO2 transcritique ?

Pour des groupes carrossés CO2 d’une puissance frigorifique de 4 kW en positif, le tarif chez les distributeurs est proche de 6 000 € tandis qu’une solution équivalente fonctionnant au R 404A est autour de 3 000 €. Le travail des commerciaux pour vendre des solutions CO2 semble déjà perdu d’avance, mais ne nous décourageons pas si vite ! Les échangeurs CO2 avec des pressions de services de 80 bars sont à privilégier. Pour augmenter la pression admissible, les constructeurs réduisent la section des tubes donc le volume des batteries, ce qui explique sans doute, que les prix sont quasiment identiques avec des échangeurs pour fluide fluoré. Les tubes cuivre de qualité standard ont des pressions de services généralement suffisantes pour les petites installations. Le diamètre des tuyauteries CO2 étant inférieur à celui des HFC pour la même puissance frigorifique, cela représente ici une petite économie. Le temps de montage et de mise en service passé par l’installateur est identique pour les deux solutions. Pour une supérette le prix du groupe représente environ 10 % du montant total de la facture du lot réfrigération, le surcoût d’une installation CO2 sera donc minime pour le client.

Groupes frigorifiques
d’un magasin Nara Coop.

 

 

Le retour sur investissement

Même minime, l’écart de prix doit être justifié, car la conscience environnementale des acheteurs est parfois restreinte par les réalités économiques de l’entreprise.

Tous les groupes fonctionnant au CO2 ne se valent pas, les différences de fiabilité et de coefficient de performance sont beaucoup plus importantes que pour les HFC. La recherche et le développement sur les groupes sont orientés sur la performance et la fiabilité chez certains constructeurs, d’autres privilégient la simplicité et le prix de vente. Nous retrouvons donc sur le marché des groupes de conceptions très différentes. Pour faire un choix pertinent la réglementation Européenne 2015/1095 impose aux fabricants de groupes de condensation de publier le Coefficient de performance saisonnier des équipements. Appelé SERP (Seasonal, Energy, Ratio, Performance) il permet aux consommateurs d’estimer sa consommation électrique annuelle avec :

• hj = Nombre d’heures/an (h),

• Qo = Puissance frigorifique (kW),

• Partload = Charge partielle (%),

• COPPL = Coefficient de performance en charge partielle. Le cahier des charges des tests que les constructeurs doivent effectuer est très précis, il reprend les conditions météorologiques de la ville de Strasbourg heure par heure sur une année. La demande de froid étant moins importante en hiver, les groupes sont également testés en charge partielle. Grâce à ces indications nous pouvons comparer des solutions techniques différentes et estimer le retour sur investissements d’une solution plus performante. Une classification énergétique faciliterait cependant la compréhension pour le grand public. Pour un groupe de 4 kW en froid positif avec un SERP de 3,8 la consommation électrique estimée est de 6 500 kWh/an. Sur le marché on retrouve des machines CO2 de cette puissance ayant des SERP de 2,5 à 3,8 avec une moyenne de 3 pour les HFC.

Entre un SERP de 2,5 à 3,8 c’est 35 % d’économie d’énergie qui est réalisée sur la consommation électrique annuelle de l’équipement. Les groupes CO2 sont pour certains plus performants que les solutions fonctionnant avec des HFC, ce qui permet d’amortir rapidement le surcoût de l’installation. Pour faire le choix de sa solution de réfrigération, les clients finaux doivent également être informés du projet de loi 2019 de taxation des HFC. Cela va augmenter encore une fois le prix de la maintenance et de l’installation des groupes fonctionnant avec des fluides fluorés, rendant ainsi le CO2 plus compétitif. Les différentes solutions CO2 de faibles puissances proposées par les constructeurs Un grand nombre de fabricants propose aujourd’hui leur solution CO2 avec des groupes carrossés dans lesquelles on retrouve souvent les mêmes composants : un ou deux compresseurs hermétiques Toshiba équipés d’un variateur, un réservoir liquide avec une vanne HP et une vanne pour le dégazage le tout piloté par un régulateur Carel ou Danfoss. Identiques à la régulation des centrales frigorifiques, ces groupes carrossés aux performances correctes ne dépayseront pas les techniciens amateurs de CO2 transcritique. Nouveaux sur cette technologie, certains concepteurs de ces systèmes, qui ne sont pas des fabricants de compresseurs et d’échangeurs, ont proposé quelques modèles peu fiables qui ont été mis sur le marché avant d’être retiré. Malheureusement ces contres références ont eu raison de la patience de chaînes de magasins qui ont de fait, tourné le dos au CO2, pour se diriger vers le propane. Nous retrouvons également des solutions innovantes conçues par des compressoristes équipées de leurs propres régulations. Avec un cycle de type HFC, ou une cascade CO2/CO2 on retrouve un constructeur astucieux qui a choisi de détendre le fluide dans l’unité comme sur un groupe de climatisation. Cette solution est la plus abordable du marché de plus elle ne nécessite pas d’installer une régulation avec détendeur électronique pour la chambre froide. Fiable mais limité au niveau de la performance, cette solution est distribuée en direct par le fabricant réduisant davantage l’écart de prix face à ses concurrents. Pour obtenir de meilleures performances que les HFC il faut passer sur des compresseurs bi-étagés. Ce système a un fonctionnement proche des compresseurs à vis, équipés d’économiseurs pour sous refroidir le départ liquide. Particulièrement performants, les groupes carrossés équipés de compresseurs bi-étagés sont particulièrement adaptés au cycle transcritique. Le dégazage du réservoir est utilisé pour sous refroidir le départ liquide et les vapeurs sont ensuite injectées à l’étage intermédiaire. Cette technologie proche de la compression parallèle obtient d’excellentes performances même avec des températures extérieures de plus de 40 °C. 

 

 

 
Graphique SERP.  
 
 

 

Compresseur à vis avec économiseur (Source Bitzer). Schéma fluidique groupe CO2 (source Panasonic).

Les compétences requises

Pour pouvoir installer et maintenir les petits groupes carrossés CO2 Transcritique, nul besoin d’avoir une approche théorique avec la maitrise des cycles sur diagramme enthalpique. De type « plug and play », la régulation de la machine et les sécurités sont déjà paramétrées. Une fois les raccordements effectués les frigoristes pourront directement passer à la mise en service. Le tirage au vide est facilité avec l’ouverture automatique des détendeurs, la quantité exacte de réfrigérant à introduire est également fournie par le constructeur. Libéré des contraintes réglementaires liées à la manipulation des HFC, le technicien sera concentré sur la technique. La vérification du bon fonctionnement de la machine est facilitée grâce à des valeurs cibles fournies en cas de dérive. Inspirée de la technologie des climatiseurs ce prédiagnostique effectué par la machine facilite l’intervention des techniciens.

 

Nécessité de Démystifier

L’installation et la maintenance de groupe carrossé fonctionnant au CO2 sont très abordables pour un frigoriste. C’est pourquoi au Japon comme en France ce sont les constructeurs et les distributeurs qui proposent une journée technique sur le sujet à leurs clients. Démystifier en réalisant des manipulations et des expériences avec le CO2 est incontestablement un bon moyen de rassurer les frigoristes sur leurs aptitudes à maîtriser cette technologie qui est nouvelle pour certains. Un discours anxiogène de la part des lobbyistes pro HFC et des formations trop théorique, ont sans doute eu l’effet inverse depuis plusieurs années.

Manipuler et réaliser des expériences avec le CO2 est un bon moyen de rassurer
les frigoristes...